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  • Photo du rédacteurClotaire Mandel

Le coût d'un long voyage, partie 1 : argent et travail.

Contexte et perspectives L’Australie est l’endroit parfait pour refaire le plein d’argent, et Melbourne pour faire le plein de tout le reste ! L'idée était donc de venir bosser un peu, et de planifier la suite. Traverser les Amériques est venu comme un suite logique à tout ça, mais pour ça il faut de l'argent. Alors entre la fin du visa Australien et la bonne saison en Alaska, la marge de manoeuvre était restreinte. Ce passage en Australie était placé sous le signe du travail, rapide et efficace. L’idée étant de gagner autant d’argent que possible avant de reprendre la route vers les Amériques.

Pour la première fois, le travail était presque une souffrance morale. J’en suis venu à réfléchir sur les formes et coûts du travail, et finalement aux coûts globales d'un long voyage.

Le marché du travail.

Le marché du travail pour les gens titulaires du visa vacances travail touchent souvent aux même jobs. Sauf à s'impliquer ou à tenter de rester plus longtemps, on a souvent tous le même type de travail. Sur des courtes périodes, on aurait du mal à se vendre sur le marché de l’emploi. Les postes les plus intéressants, et donc gratifiants, demandent un engagement et une présence sur la longue durée.

Donc lorsque l’on ne fait que passer, on prend ce qui vient. Ce n’est pas entièrement négatif, mais ce n’est pas non plus la carrière d’une vie que l’on joue.

Ces jobs nous renvoient quelque chose d’insidieux, et ont la bassesse des emplois mal payés et mal considérés. Nous sommes un des petits rouages qui permettent aux grands rouages de tourner. Nous sommes quasiment tous des petits rouages, mais le long terme offre la perspective d’avancer et de progresser dans sa carrière, ce qui aide à tenir j’imagine.

Dans cette position, il n’y a pas vraiment d’avancée possible : on prend ce que l’on trouve et on fait le plus d’heures possible. Nous sommes de la main d'oeuvre pas cher et interchangeable.


Quelques mois en Australie, c’est quelques mois à servir dans un restaurant, à cueillir des fruits ou à faire des cafés. C’est bien, mais pas suffisant. Peut être à 20 ans, mais plus à 30 ans passé je crois. Ce sont des métiers souvent ingrats où l'on utilise peu sa tête, car dans des pays où l'on peut difficilement faire valoir ses diplômes. Stagner dans le bas de l'échelle sociale, c’est le prix à payer pour continuer à voyager, dans un seul élan qui est le mien. Maximiser les profits sur un temps minimum, dans des pays qui se trouvent sur la route. Attraper au vol les opportunités qui nourriront le corps immédiatement, et plus tard l'esprit.

Ce n’est pas mon pays, pas ma langue et ce ne sont pas mes rêves de carrière. Ce n'est même pas vraiment ma place. Je suis un étranger de passage, et je bouche les petits trous dans un système qui se passera de moi à la seconde où j’aurais filé.


L’ingratitude du métier

Ces métiers sont souvent ingrats. Les restaurants, cafés ou les fermes. Dans la restauration, on mange souvent en vitesse dans un placard crasseux, on se cache pour boire et on fait des grands sourires. Comme si il fallait préserver les clients de l’humanité de ceux qui les servent.

Servir d’ailleurs, je crois que cette position me déplait de plus en plus. Le tout avec des horaires corsées.

Boulot de merde, condition de merde, salaire de merde.

On commence tôt et on rentre tard. Un peu à vélo et un peu en train, selon l’état d’épuisement.

Sur la route du retour, on croise d’autres restaurants et d’autres bars, plein de couples et de groupes d’amis. De bruyants groupes de copains et copines dans le train, éructant leur bonheur d’avoir une vie sociale. Moi, je fend la nuit seul pour rentrer me coucher.

Encore heureux que je retrouve des amies en rentrant à la maison.

Et demain on recommence.

C’est donc ainsi que je finance mon voyage.


Motivation

Voyager au long cours sans avoir un compte en banque bien plein demande quelques sacrifices.

Le tableau est loin d’être parfait : pas catastrophique, mais pas idéal. En d'autres termes, il faut travailler, vendre de son précieux temps libre.

Lors de ces périodes de travail, j’ai au moins la chance de savoir pourquoi je me réveille le matin. Je compte les heures, les jours, les semaines.

Chaque heure de travail me construit une semaine de salaire. Et ce salaire correspond à un nombre de jours sur la route. Ni plus ni moins. Je n’ai aucune autre motivation pour aller travailler que de convertir chaque heure de travail en jour de vélo.


Ce qui renvoi à la question “que suis je prêt à faire pour continuer ce voyage ?”.

Combien ce voyage représente t’il pour moi, dans la construction de ma personne, pour que je sois en mesure de mettre de côté tout le reste ?


Idéalement j’aimerais voyager, photographier et écrire. Pourtant, pour lancer cette machine, il faut de l’argent. Et cet argent, j’ai décidé de la gagner vite et bien par le salariat. Ce qui crée de grandes différences entre les intenses périodes de bonheur sur la route et la souffrance d’une vie qui ne me correspond pas, dans un univers presque parallèle et que je rejette intérieurement en bloc.


Non pas que je n’ai pas envie de travailler. Mais il y a une différence fondamentale entre travail et salariat.

Le salariat…

Le salariat est l’acte de subordination d’un individu à un autre ou à une entité en échange d’un salaire, le tout établi par contrat.

On signe à papier qui dit en substance combien nous recevrons par heure de subordination. Nous troquons notre précieux temps de vie pour de l’argent. Donc déjà, posé comme ça, ça permet de relativiser beaucoup de choses.

Troquer son temps de vie pour de l’argent d’accord, mais à quels fins ?


Dès lors que l’on a un peu de confort et une existence satisfaisante, on devrait être en mesure de réduire le temps de travail pour reprendre possession d’une large partie de son existence.

En revanche, dès lors que l’on veut toujours plus, du neuf, du grand, du beau, on doit constamment travailler pour financer tout ça.

A quoi bon ?

Il y a énormément de conventions sociales et de notions d’identités qui font que l’on agit de la sorte, au risque de vivre une vie dénué de sens.


Voilà comment je vis le salariat. Voilà comment je perçois le monde qui m’entoure. Voila la souffrance intérieur dès lors que je dois effectuer des tâches que je n’ai pas envie de faire.

… Et son absurdité

Le salarié n’a pas le droit à la minute de repos payé. Les employeurs veulent voir leurs employés s’activer durant les heures rémunérées. Au point de tomber dans l’absurdité la plus totale.


Vous pouvez vous activer et rendre un service irréprochable, c’est pour ceci que l’on vous paie. En revanche, pas question de s’arrêter, de souffler durant les périodes creuses. Quitte à nettoyer les mêmes tables trois fois, les mêmes poignets de porte. De déranger pour pouvoir avoir à ranger derrière et avoir l’air occupé.

Le capitaliste a horreur du vide. Il a crée les postes managériales et a transmis son horreur du vide. Le repos c’est le vide aux yeux du capitaliste. Le vide est manquement au rendement.

Si il n’y a pas rendement, il faut qu’il y ait au moins mouvement.

Dès lors, l’ouvrier développe la faculté d’avoir l’air occupé, sans vraiment l'être parfois. C'est là qu'on tombe dans une forme d'absurdité.


On est payé pour ça, et décemment, donc un sens c’est plutôt confortable. Mais c’est là que le système trouve ses limites pour qui pense avoir bien mieux à faire que de travailler pour un tiers.

L’ouvrier est pré conçu pour n’avoir que peu de sens à donner à sa tâche. Tout est tellement déstructuré que les tâches prises une par une n'ont pas grand sens. Ce qui fait qu’une tâche amène à une salaire qui fait vivre une famille, mais rien de plus. On ne voit ni les tenants les aboutissants.

Dès lors qu’un individu demande du sens à son activité salariale, les possibilités professionnelles se réduisent drastiquement. L'absurdité réside aussi dans le contraste entre la vie que l'on mène sur la route et les tâches que l'on se voit faire au travail. D'un côté, on vit par terre, dans la terre et la poussière. On mange avec ses mains, on utilise un morceau de fourchette qui fera aussi office de couteau, cuillère et décapsuleur. On mange dans la popote qui fait office de bol, assiette, poële, bac à douche. On parle la bouche pleine et on rit à gorge déployé tant le bonheur d'une vie au plus prés de son soi sauvage est jouissif. De l'autre, il faut mettre le couteau dans le bon sens, changer d'assiette entre chaque morceau de pain. Il faut une chemise blanche et repassé. On jette des quantités astronomiques de bouffe, on écoute les gens se plaindre parce qu'il manque un demi centimètre de lait dans leur tasse. Il faut une paille pour boire un soda, et des courbettes pour se faire servir un verre d'eau. Je ne supporte plus ce contraste.

Par un accord tacite, j’accepte de faire parfois des tâches absurdes pour un peu d’argent. Voilà où je veux finalement en venir après une longue digression. Voilà d'où provient le budget de la suite du voyage.


L’équation

Faute de mieux, j’ai estimé avoir 10 euros par jour pour mener la suite de ce voyage à bien. Quelques mois en Asie, la traversée des Amériques, le nord ouest de l’Afrique et retour en France.

Pour l’instant, il n’est même pas question d’aller au bout avec ce que j’ai en poche. On verra bien. Bricoler sur la route, et rentrer complètement fauché semble la voie la plus probable pour le moment. (Pour la bonne cause)

Si j’ai toujours pensé que l’argent ça se trouve toujours, j’ai cette fois bien compris le prix qu’il fallait payer en échange d’un peu d’argent. Ce qui me fait revoir mes dépenses à la baisse.

Je ne suis pas doué avec la comptabilité et n’ai pas beaucoup de respect pour l’argent. Donc je me suis toujours fait plaisir sans trop compter, par pur joie de vivre de la manière dont je souhaitais.


Le coût du travail

Force est de constater que chaque jour à vélo dans les mois qui suivront seront dégusté comme par celui qui mesure ce qu’il faire de résilience pour aller le chercher cet argent.

Il est couteux de gagner de l’argent. On donne beaucoup de soi, et on donne son temps pour faire quelque chose dont la passion se dégrade à mesure que les heures s’accumulent.

On met de côté son identité pour se donner des airs professionnels.

Il faut porter une tenue spéciale, qui n’est rien d’autre qu’un déguisement.


Ça me coute de travailler de la sorte. C’est chaque fois plus difficile, chaque fois plus absurde. Et même si personne ne lit ça, j’écris pour me donner une contenance, pour me donner l’espoir qu’un jour je pourrais tirer subsistance de ce que j’aime vraiment faire.

L'argent est si couteux, qu'il faudra maintenant être plus économe, et savourer chaque minute, conscient de ce qu'elles m'ont moralement coutées.

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