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  • Photo du rédacteurClotaire Mandel

Retour d'Afrique, partie 3

Dernière mise à jour : 7 avr. 2020


C’est finalement plus difficile que prévu cet exercice conclusif.

Je pense surtout qu’il n’y a rien à conclure. C’est juste le temps qui a couru, battant son rythme, et moi qui tente de recueillir chaque seconde qui passe au creux des mains.

Apparemment j’ai changé. C’est pas moi qui le dit, c’est celui qui a roulé à mes côtés des milliers de km. Je suis devenu beaucoup plus détendu au sud de l’Afrique qu’au nord. L’effet équateur ? Peut être.

Plus sûrement un soupir de soulagement général. Content d’être arrivé au cap, mais aussi de n’être arrivé nul part à la fois. Au de la de ça, la vie sur le continent Africain m’a fait passer par mille émotions. Pour en arriver à la décontraction, donc ça finit plutôt pas mal.


La fin fût complexe à gérer. Plus envie de rouler en Afrique. Plus envie d’être ici. Tout en ayant gardé cette envie de rouler, de bouger, de voir, de sentir. C’était vraiment le challenge. Arriver à garder l’amour du mouvement intact.

Mais ce n’était plus l’endroit où je voulais être. Donc j’ai pris la décision de faire un peu de stop sur la fin. Et ca, ça m’a rendu heureux. Je me suis retrouvé dans ma capacité à prendre des décisions, à inciser ce qui ne participe pas à un parfait état de bonheur constant.

Alors oui je suis plus détendu, mais je suis aussi beaucoup plus exigeant avec moi même. J’ai des ambitions qui me dépassent probablement de loin mais qu’importe. Coup de pédale après coup de pédale on se retrouve à l’autre bout de la planète. Et c’est comme ça pour tout. Travail et patience.


En arrivant au Cap nous regardions l’océan lorsque l’on s’est dit “Putain je ne fais absolument rien pendant au moins 3 jours”. Silence. “Mais ont fait quoi lorsqu’on fait rien ? Ils font quoi les gens normalement ?”.

Et le soir même nous faisions des listes de trucs à faire. Le lendemain j’essayais compulsivement d’écrire.


Je ne sais pas si j’ai aimé l’Afrique. Je ne sais pas encore. Certains détails vont me manquer, pour sur. Mais aussi un tas de choses ne me manquerons pas.


Au début c’était un peu brutal. Au début et au milieu en fait. Trop de monde, partout, tout le temps. Éthiopie, Ouganda, Rwanda en particulier. C’est impressionnant. Dans certains endroits, je mets au défi n’importe qui de s’arrêter pour pisser sans qu’il n’y ai PERSONNE autour.


La couleur de ma peau, que je n’avais jamais vraiment senti, puis porté tel un fardeau. J’ai rêvé de super pouvoirs qui me permettaient de connaitre toutes les langues locales et de pouvoir teinté la couleur de ma peau à volonté pour n’être qu’un individu lambda.


Mais ! Personne n’est un individu lambda ici, pour grossièrement généraliser. On ne fais pas que se dire bonjour, on se demande comment va la santé. Je m’assois et j’observe. Les gens évoluent avec le sourire, se parle, échange. Se taisent aussi, attendent côte à côte, sans réel notion d’espace personnel tel que je l’entends.


Car c’est surement très personnel mais j’ai besoin de ma petite bulle d’espace vitale, pouvoir étendre librement les bras à 360° autour de mon petit corps.

Sauf que, si je suis le seul assis dans un restaurant de 50 tables, le prochain qui va rentrer va venir s’assoir avec moi. C’est plutôt cool dans un sens, ce contact, cette curiosité et cette non appréhension de l’autre. Et ça doit plaire à ceux qui “font l’Afrique”, on se sent dépaysé, c’est différent de chez nous, on tape sur le dos de l’individualisme à l’occidentale.

Je me suis donc trouvé très individualiste en un sens. Et je l’assume.


J’avoue que ca me va très bien d’être seul à ma table et qu’on ne me demande pas si je suis marié. Dans ce sens où, je veux aussi être transparent et vivre normalement sans que l’on me questionne sans cesse. Ca parait peut être un peu rude à vos yeux, mais c’est un mélange de nécessité sur le voyage au long cours mêlé avec mon caractère, et ça ne se discute pas.


Dans un autre registre, l’éducation des enfants, la place de la femme, la place des hommes. Je ne me suis pas du tout retrouvé dans les valeurs que j’ai cru voir. Et parfois je m’insurgeais, je me suis même physiquement battu. On me disait “This is Africa”. Avec ce haussement d’épaule et ce rictus compatissant de celui qui vois se débattre le blanc européen venu apporter sa culture et son savoir vivre.

J’y ai longuement réfléchi, et je ne pense pas que l’on puisse se cacher derrière l’argument du “c’est culturel” pour certaines choses. Simplement, je considère que lorsque ça touche aux questions de mariage forcé, excision, viol, agressions, ou qu’en tout cas de manière générale ça touche au bonheur d’un individu, c’est pour moi au delà du reste, aucune excuse.

Pas de blanc ou de noir, de c’est l’Afrique, de c’est culturel. Non c’est la négation de l’être humain dans sa personne la plus profonde, et ça c’est non discutable (dans mon monde).


Je vous passe les situations lamentables, les histoires à dormir debout. Mais chaque fois le même argument : “This is Africa”. Et je trouve ça d’un fatalisme à vomir. On ne peut pas se reposer là dessus. Si ca ne va pas, on ne colle pas une étiquette culturelle qui excuse l’inertie. On change les choses, on se bat, même si c’est un combat à la don quichotte., on essaie tout au moins.


Par ailleurs, gros point pour moi : l’alcool que j’ai trouvé tristement omniprésent. Et le bourré du village qui est équipé d’un radar à muzungu. On s’arrête 30 secondes et il nous trouve, c’est une règle de base.

Ceux là même qui viennent nous demander un peu d’argent pour leur enfant qui n’ont rien à manger, le tout avec une forte haleine de gin bon marché. Pareil, zéro patience pour ça.

Donc parfois, le week end ou en semaine, matin midi ou soir, des mecs allongés, ivre mort. Eux au moins ont la décence d’être silencieux.

Le soir on se cachait à moitié pour boire une bière de fin de journée. Au début on répond aux questions, puis irrémédiablement ça tourne vite en rond. Puis on montre les vélos en expliquant qu’on ne peut pas lui acheter ses girafes en bois fait à la main avec amour.

“Tu la veux celle là ?” Celle là, c’est une femme. Doté d’une conscience et d’une capacité de décision, ce n’est pas une chose. Le ton commence à monter. “Vois tu, nous aimerions bien un peu être en retrait et ne pas parler, juste boire une bière fraiche en silence”. Et ça traine, parfois 30 minutes. Moi je ne suis pas patient, encore moins après avoir roulé toute la journée sous la cagne. Donc je vais voir le patron : “Tu sais, je suis pas bien grand, mais si ton copain nous laisse pas peinard, je vais me fâcher tout rouge, et je suis teigneux.”

Pas tout le temps, souvent. Trop en tout cas.

D’autant plus qu’à vélo on finit souvent dans des villages qui resteront dans l’ombre des cartes. Autant dire que les bars, c’est pas un endroit cosy avec une musique louange et des canapés en nubuk. C’est masculin, c’est bruyant, c’est sale.


On passe au traditionnel “Tu m’offres un cadeau ?”

J’ai souvent eu l’impression d’être le père noël. La doudoune rouge et la barbe, les sacoches que l’on peut prendre pour des rennes après quelques verres de vodka. Peut être que c’est moi qui cherchait les problèmes finalement.

C’était toujours sans animosité. Mais simplement binaire, “Un blanc ! Il a forcément plein d’argent et des cadeaux pour tout le village”. Je simplifie et j’entends râler d’ici. Mais au final c’est ce qui en ressort lorsqu’à l’ombre pour le repas de midi, les mecs défile impunément en demandant chacun leur tour un truc. Là je me disais mais c’est une blague ou pas ?


Parfois des discussions fort intéressantes dans certains pays, anglophones, au niveau d’éducation plus élevé. Vraiment très chouette de parler religion, politique, géopolitique. Mais c’est pas partout, et pas tout les jours. L’inverse fût la norme. La vie intellectuelle bouillonnante fût l’exception.

Ne vous méprenez pas, je ne dis pas que les gens sont idiots. Je pense que la barrière de la langue fait beaucoup. Mais bon là, quand tu traverses 3 régions différentes dans une journée en Zambie avec 3 langues différentes et qu’un mec te balance pendant que tu manges le midi : “Vous êtes chez nous, il faut apprendre les langues locales”.

Ben bien sur, ça parait intelligent tiens. Dans 20km on change de région à nouveau, donc de dialecte, ça fait sens de m’arrêter là 1 an pour apprendre la langue tiens. (Ouh le méchant Clotaire tout cynique).

Donc je ne blâme personne tout comme je ne me blâme pas moi même pour ne pas avoir appris les langues. C’est pas faisable. C’est juste techniquement pas faisable. Même en y passant une vie entière. Et déjà, vous comprendrez bien que je ne suis pas trop trop partant pour ça.


Un petit point sur le swahili et la fierté. C’est une langue tellement forte au centre est de l’Afrique qu’on s’en voulait presque de ne pas la parler.

On bricolait quelques mots parce que ce n’est pas trop dur et que ça rend tout le monde content, mais on était loin de s’imaginer la puissance de cette langue. Qui est la première ou deuxième langue parlé du continent il me semble.

Et dans la petite bulle qui est la leur, les gens s’étonnaient souvent qu’on ne parlent pas Kiswahili. S’étonnant presque que nous ne l’apprenions pas à l’école à la faveur de l’anglais, l’allemand ou l’espagnol. On rigolait toujours un peu en expliquant gentiment que bon, mis à part vivre dans le coin, c’est pas le réflexe premier des occidentaux d’apprendre le Kiswahili et que ce n’est pas prêt d’être au programme de l’éducation national..

Mais j’ai trouvé ça chouette, cette espèce de croyance candide que le monde tourne autour de chez eux. Que leur langue ait une universalité qui dépasse les frontières de ce groupe de pays.


Le sens du beau et de l’esthétique. Ça c’est tout personnel mais ça me chagrine. Il n’y a aucune recherche de beau ou d’esthétique, notamment dans les villes. C’est le droit au pratico pratique, le reste est étranger. Et ce fut souvent le cas avec la nourriture aussi. Simple et efficace, pas de fioritures. Pas d’effort d’innovation, les choses sont ce qu’elles sont et tout le monde s’en contente.

A la fin les conversations ressemblaient tristement à ça :

“Oh mais il est cool ce bâtiment !

- Ben ouai, c’est colonial”

Ne me faites surtout pas dire ce que personne n’a dit hein, encore que le débat serait intéressant et que mon avis est moins tranché qu’avant, mais les seuls beaux bâtiments modernes que j’ai croisé datent de l’époque colonial, au nord comme au sud. Je dis bien moderne hein !


Je suis aussi parti rouler là bas rapport au temps. Le temps, j’ai voulu le prendre. Littéralement. Le saisir, et le garder pour moi. Rien que pour moi. Ne pas donner une seule seconde à l’ennui ou à une tâche auquel je ne n’aspire pas. J’ai donc eu le temps de lire, d’écrire. J’ai du lire environ 150 livres depuis 18 mois. Ce qui devrait être tout ce qu’il y a de plus classique. Non pas que tout le monde DEVRAIT lire, mais on ne devrait pas entendre “Ah je n’ai pas le temps de lire”. Mais ca marche pour ça comme pour le reste, changez le verbe lire par un autre et ça fonctionne aussi. Je ne veux pas m’entendre prononcer cette phrase toute faite, jamais.

Récupérer mon temps de vie, me l’approprier, c’était peut être mon but suprême. Le confort de demain. Avec le silence et le retrait physique du monde des Hommes.


Mais je l’ai connu l’ennui. J’ai découvert l’ennui pour être plus précis. L’ennui Africain. La morne répétition d’un schéma qui ne me plaisait guère.

De longues sections de routes plates et rectilignes entre deux endroits intéressants éloignés par bien trop de kilomètres à mon gout.


Puis aussi, dans mes grands rêves éveillé, je fantasmais sur le camping sauvage. C’est quelque chose qui m’attirait très très fortement vers le continent. Je m’imaginais des bivouacs sans tente sous le ciel étoilé dans la savane. Très cliché n’est ce pas ? Pas de mal à ça en effet.

C’était finalement plus compliqué que ça. Déjà, entre les scorpions, serpents, énormes fourmis affamées, animaux sauvages divers et variés, moustiques, ça couvre une bonne partie du continent. Et du coup d’emblée tu montes la tente. Adieu le cliché de la nuit à la belle étoile.

Et c’est pas une légende. Entres les hyènes autour de la tente, les scorpions sous la tente et les moustiques à profusion, ça dresse le tableau.

Ensuite, et là c’est moins poétique, la propriété privée. Ce fût beaucoup le cas dans la partie sud du périple, et au Kenya aussi. Des barrières partout. Des sections de plusieurs centaines de kilomètres toutes droites, encadrés par barrières et barbelés. Ça ne donne pas vraiment envie. Non pas que ça soit impossible encore une fois, mais c’est déconseillé. Puis les propriétés peuvent être parfois à plusieurs dizaines de kilomètres, donc pour l’autorisation c’est complexe.

Ceci dit, tout le monde est souvent très accueillant et dés qu’il y a contact c’est plutôt facile.

Sinon, du monde partout, des villages partout, des cultures partout, et ça c’est surtout valable plus au nord.

Donc non pas que ça soit impossible de camper là, mais encore une fois, les conditions font que e n’ai pas trouver ça aussi évident qu’en Europe. Et encore moins qu’en Turquie, Iran, Oman…

C’est pas le top d’être à vue de tout le monde, sachant que le village va surement passer voir ce qu’il se trame ici. Et ça c’est bien Africain.


Le camping tout court, une fois que le contact est établi et que les gens comprennent ce que l’on souhaite, ce qui est parfois vraiment très abstrait, plus aucun souci, ça ne viendrait pas à l’esprit de nous refuser quelques mètres au sol pour y passer la nuit.

Et dans le domaine camping pas sauvage, on peut vraiment dire qu’on a planté la tente partout.

C’est d’une impressionnante facilité que de dormir en Afrique. Commissariats, églises, mosquées, hôpitaux, écoles, jardins… Il faudrait être fou pour s’en faire par là bas. Toujours une solution.


Et ça c’est aussi qui me rend plus paisible et plus calme désormais, j’ai appris qu’il n’y avait pas de problème s’il n’y avait pas de solution. Et que chaque solution vient, si tant est qu’on soit un peu patient.

Et a propos de ça, il a quelque chose qui me fascine, cette espèce de quiétude général et quasi permanente. C’est loin d’être le monde des bisounours et j’en suis le premier convaincu.

Mais lorsque l’on voit les conditions dans lesquels certains vivent, et avec le sourire. Lorsque l’on voit les charges que les mecs trainent à vélo, les distances à couvrir par les femmes pour aller chercher de l’eau, les distances pour que les gamins aillent à l’école, ça me fascine de voir à quel point les choses semblent accepter. Comme un espace de mélange fatalisme nihilisme typiquement Africain.


Autre chose, l’Homme blanc est pressé. Tout se résout à condition de prendre le temps.

“T’as la montre patron, moi j’ai le temps”. Ça résume plutôt bien l’idée.

Ainsi donc, les problèmes de corruption ou autre, j’ai montré que j’avais le temps. Je m’assois et je lis, comme pour montrer “Tu sais, ni femme ni enfant ni maison ni voiture ni train à prendre ni travail”.

Et ça marche, au bout d’un moment ils comprennent qu’ils ont affaire à l’archétype du mec pas pressé qui passera la nuit ici à manger son bol de nouille asiatique. Alors il te fait signe de passer, avec l’air agacé du mec qui à trouvé un gonze qui a encore plus de temps disponible que lui.


Toujours est il que je ne suis pas tombé amoureux de la culture de manière globale, soyons clair.

Je n’ai pas aimé la nourriture qui était fade et similaire à chaque coin de rue, lorsqu’il y avait une culture de la street food. Comme une non envie d’innovation générale, pour la nourriture comme pour le reste.

C’est surement là le français en moi qui parle, ou le snob comme dirais mes copains cyclistes. Toujours est il.

Je fût aussi très peu stimulé intellectuellement. Ce qui pour moi est assez dur à vivre. Au point où je me suis remis à apprendre le Russe. Au point où mes livres m’intéressaient parfois plus que la réalité dans laquelle je baignais.

J’étais heureux des pauses et du soir, des matins à la frontale à dévorer des chapitres. Car je savais qu’après, c’était 100km de savane. 100km de vélo d’appartement. Sauf que le papier peint de l’appartement c’était souvent une plaine jaunâtre et immobile.


Plein de choses se sont fatigués sur la fin.

Je n’avais plus envie d’être ici. Je rêvais presque du scenic et des braillards derrière. Autant dire que cette pensée m’a valu une claque sur le casque pour me remettre les idées en place.

Donc je suis arrivé en Namibie un peu à bout de motivation.

Ca aurait pu entamer ma volonté de voyager et de continuer mais non, après écoute de mes propres pensées profondes, j’ai compris que rien n’avait bouger et que j’étais toujours parti sur le plan : vélo pour les 74 prochaines années. Simplement je n’aimais pas le pays dans lequel j’évoluais. Et si il faut mettre des mots dessus, je me suis royalement ennuyé.


Car la culture s’affadit, à mon humble avis, à mesure que l’on descend vers le sud, sur mon trajet en tout cas.

Rajoutons à ça une franche séparation noir-blanc aussi. Ça devient gênant, incompréhensible. Puis beaucoup de touristes aussi. On passe des villages qui arrêtent tout pour voir le Muzungu boire un thé à plus rien, pas même un sourire. Un touriste de plus. Juste qu’il n’a que deux roues, pas quatre. Pas de quoi en faire un monde.

C’est fou tout même ? Moi qui rêvais d’anonymat, je l’ai obtenu plus au sud. Non pas que je ne l’ai pas apprécié cet anonymat, mais il détonne du reste, de ce à quoi je m’étais finalement habitué.


Je trouve que c’est important d’être honnête là dessus, notamment pour ceux qui ont pour projet cette route là. Je me suis ennuyé (notez comme je reste poli alors que je pourrais employer d’autres mots pour décrire un peu mieux l’idée) une bonne partie du temps. Plus qu’il ne devrait en tout cas.

Car à partir d’un certains moment, c’est devenu identique. L’étais ce ? Ou étais ce que je voulais voir ?

La nourriture est la même, la route est la même, 1500km entre deux “wahoo”.

Puis ce que je pensais trouver, ce que je cherchais. Et ce que j’ai réellement trouvé.


MAIS


J’ai compris aussi à quoi pouvait bien ressembler une relation avec des inconnus. On se croise, on se dit bonjour, on se demande comment ca va. C’est comme ça.

Et c’était amusant puisque parfois j’oubliais de demander comment les gens se portaient, ca ressemblait à ça :

“ Hey good morning

- Morning !

- I’m good thank you”

Tellement habitué à ce que l’on se demande comment ca va qu’ils répondaient machinalement à une question que je n’avais pas posé. J’ai trouvé ça beau.


C’était difficile d’avoir un vrai dialogue et d’avoir des réponses à ma curiosité car leur attention était braqué sur moi. Tout un tas de questions. Tout un tas d’interrogations. Sur moi, mon pays, ma culture, mes femmes et mes enfants. Alors je prenais un grand plaisir à expliquer ce qui faisait différer nos vies, nos cultures, nos pays.

Une grande curiosité que j’ai trouvé saine, et que je pense, avons perdu. Mais nous l’avons perdu pour plusieurs raisons. On n’arrête pas un mec d’origine pakistanaise, Soudanaise ou Japonaise dans la rue pour l’assommer de questions. Ça paraitrait même indécent. Ça pourrait être mal interprété, mis dans la case du racisme. Alors les gens se ferment.


On a peur d’envahir l’autre, de le faire se sentir différent. Car oui, notre société est prodigieusement multiculturelle, et doit le rester. Ainsi voir une fille qui semble venir d’Inde dans le métro, on pourrait lui demander de quel coin d’Inde elle vient, pour dire avec contentement qu’on y est déjà allé aussi. Mais dû aux facettes de notre population, on se verrais surement répondre : Je suis né à Dijon mec.


Sauf que par ici, pas de problème. Tu parais venir d’ailleurs, on vient s’assoir avec toi pour te poser les questions nécessaires. C’est pour moi envahissant, selon le degré de fatigue, l’humeur et le moment. Mais hormis mon caractère de chiotte, c’est absolument fabuleux.

Tiens, dans un restaurant, y’a même pas de “je peux m’assoir avec toi”. Je m’assois et je m’intéresse à toi. C’est sans détour. C’est humainement naturel et simple. Juste loin de ma culture et de ma manière d’agir. Loin de ma conception de l’espace personnel et de la bienséance.

Et à ça il n’y a pas de vrai ou de faux, de bien ou de mal. C’est simplement différent. On accepte la curiosité là bas comme on peut accepter l’indifférence chez nous.


Ca renvoi aussi à la notion de libertés individuelles que j’ai trouvé très très intéressante.

Le même restaurant que plus haut, le mec arrive et ne s’assoit pas à côté de toi, lui s’en fout de où tu viens.

Il sort son enceinte, met sa musique à fond et mange son plat tranquillou. En france, la moitié de la salle chuchoterais “Non mais quel toupet”. Et l’autre moitié, en bon français, se lèverait et passerais une petite gueulante. “Non mais oh, il y a du monde autouri, on se respecte, tu éteins ta musique jeune homme.”

Ici, tout le monde s’en fout. Il fait bien ce qu’il veut à sa table. Il faut arriver à intégrer ça pour pouvoir survivre en Afrique et vivre en harmonie. Une fois fait, je regarde derrière, je regarde ce restaurant français. Et je prends la mesure de ce ans quoi j’ai grandi, qui ne fait plus forcément sens là bas.

Je reste coincé dans mon éducation où ceci est invasif. On peut s’ouvrir et comprendre mais on ne calquera pas, puisqu’une fois rentré en France on retrouverais vite les codes de conduites tacites.


J’ai aimé la simplicité. La simplicité, illustré par une situation simple. Il pleut, Olivia n’ira pas travailler ce matin. Elle est coiffeuse et bosse à deux pas. Cependant, à quoi bon se lever. Il pleut, donc les clients ne viendront pas, donc à quoi bon y aller. Et de l’autre côté, il pleut, la coiffeuse ne viendra pas, donc pourquoi me pointer là bas ?

Simple, efficace. J’aime cette logique.


En revanche, ça marche comme ça pour tout, et la simplicité devient nonchalance. Ce pourquoi je pense que les sociétés Africaines auront du mal à obtenir ce que tout être humain devrait avoir (accès égal à la santé, à l’éducation, à l’eau, à la nourriture, la liberté de décider pour soi..). J’avais l’impression que les revendications tombaient souvent dans l’oubli en tirant la carte “This is Africa”.

Cette manière d’accepter et de se contenter. C’est à la fois beau et triste, les deux n’étant pas incompatible et la recette fait succès par là bas. Toujours mon humble avis bien…


Question religion, tiens en plus c’est à propos en ces temps de misère intellectuelle.

La laïcité, la tolérance, le vivre ensemble, le respect. Ou qu’importe le nom qu’on lui appose. Pareil, belle bousculade. Je n’ai pour ainsi dire plus d’avis. Là comme pour beaucoup, je pensais avoir des convictions, et je ne sais plus. Je n’ai plus vraiment d’avis, ou en tout cas ils sont teintés et non péremptoires.

Dans les écoles de certains pays, ceux où j’ai eu l’occasion d’approcher de prés pour me rendre compte et en discuter, les filles peuvent venir voilés, ou pas, selon la religion de chacun. Et demander si ça ne pose pas problème, c’est sa voir asséner un regard d’incompréhension total du genre “Qu’est ce qu’on s’en fout ?”.

A l’heure où dans mon pays, non content d’essayer de s’accomplir soi même en tant qu’individus pour rendre la communauté plus belle, on regarde son voisin, on se donne des airs de convictions. Ça fait partie de l’identité. Etre en colère ça fait passer le temps. Et assis devant Claire Chazal, ca fait oublier le reste et ça donne un sujet de conversations pendant les repas entre amis. Puis tout le monde est d’accord, ça permet de ne pas s’entretuer avant de passer au fromage.

Pourtant, je revois encore ce regard. “On s’en fout non ?”.

Je ne sais pas. Je ne sais plus. Et puis, qui suis je pour penser savoir pour tout le monde ?


Je pensais revenir avec un répertoire téléphonique plein à craquer et des déchirants au revoir en souvenir. Avoir des avions à prendre à l’avenir pour respecter mes promesses de retour.

Mais finalement, j’ai gardé très peu de contact. Je ne sais pas trop à quoi ça tient, mais le fait est.


Puis la vie en communauté. Dans les petits villages perdus, la vie est simple. Sitôt la nuit tombé, la maisonnée se retrouve autour d’un petit feu qui illumine la hutte. C’était chouette de rouler le soir venu lorsque le trafic n’était pas trop cata. Ça explique aussi pourquoi tout le monde est dehors tout le temps, la taille des habitations au vu de la taille des familles. Mais le soir venu, lorsque la lumière a quitté l’endroit et que l’électricité n’est pas encore arrivé jusqu’ici, tout le monde se retrouve autour du feu, télévision ancestrale.

Je trouvais là aussi justification dans l’espace vitale qui me manquait souvent.


La danse, parce que même si c’est cliché, c’est important !

J’ai trouvé la danse partout et tout le temps. C’était vraiment chouette. Il a comme une espèce de légitimité à danser, même si les gens tiennent à peine debout, et personne ne rit. Sur la piste de danse mais aussi dans la rue, partout et tout le temps. Ça me donnait toujours le sourire, et j’essayais aussi de danser quand personne ne me regardais, parce que bon, le moindre mec était capable de coller à la musique sans que ça sonne trop faux.


Et allé on fini avec le meilleur pour la fin, l’espèce de discrimination latente. A la fin, fatigué du discours à peu prés similaire en tout point avec lequel nous avons vécu pendant de longs mois, on en vient à se cacher du monde. Avec certains en revanche, plus au sud, les discussions étaient beaucoup plus intéressantes car facile de par la langue, mais aussi par une culture et des intérêts similaires.


Alors là on sombre dans le cliché mais finalement, on prend tout de même une sacrée leçon. Etre confronté à certaines choses, ça permet de relativiser sur pas mal de plans. Je pense notamment à l’eau, à la santé, à la condition féminine, à l’accès au travail, au droit à la paresse, l’identité, la fierté, l’égalité.

Et en ça, je trouve que le monde est désormais bien uniforme comparé à ce grand continent qui restera toujours mystérieux quelle que soit le temps qu’on y passe. Alors on fini par ne s’adresser qu’à des blancs, par soucis de fiabilité, teinté aussi de facilité dans la langue et terni par la paranoïa sous jacente qui nous accompagne en Afrique du sud.

C’est étrange. Je me suis parfois détesté d’aller systématiquement vers la personne de couleur blanche si j’avais le choix.

On laisse plus facilement son vélo chez un expat sudaf’ qu’un local. Parce qu’on vit dans un monde où on nous met en garde de tout tout le temps.

Dans un monde où la discrimination est si brutale et les inégalités si puantes entre blancs et noirs, qu’on peut aussi facilement être victime de victimes d’un système pourri. Alors on se referme. On va au plus simple, à ce qui en surface est plus sécurisant.

Mais surface, pas tant que ça. Puis que les problèmes latents crées des conflits qui petit à petit ronge l’Afrique australe. Et nous on passe là dedans comme des fleurs. Détestant ce que l’on voit du néo ségrégationnisme tout en en subissant les conséquences, donc nous rangeant du côté où les choses nécessitent moins de discours, où l’herbe est plus verte. Creusant alors encore plus le fossé.

J’ai aidé le fossé à se creuser. De peu, mais c’est un fait. Le blanc qui va avec les blancs. Que peuvent ils bien en penser ?


Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je prenais toujours du plaisir à essayer de comprendre la signification du claquement de la langue dans la gorge dans les phrases prononcées en langue locale, je m’intéressais toujours autant aux individus, qui qu’ils puissent être.

Simplement, une certaine tension est palpable. Une certaine paranoïa des deux camps, qui ne devrait être qu’un d’ailleurs, et on se retrouve au beau milieu de tout ça.


Mais si ça vous choque, ça parait évident pour des raisons pratiques. C’était plus facile. Ça arrivait au moment où j’avais besoin de facilité. Un moment où je fatiguais d’être là. Ou je ne voulais pas batailler des heures. Ou je voulais vivre en économe de paroles, de mots, de bruits.

Voila. C’est pas facile à avouer, mais ça serait


Et donc pour essayer de conclure rapidement, c’était chouette, vraiment. Je suis très heureux d’avoir choisi cette route et tout est derrière moi de toute façon.

J’ai beaucoup changé. Je suis plus relax, plus détendu, plus patient. Je sais aussi désormais comment je veux orienter mes prochaines années à vélo, moins de monde, plus de vie sauvage.

J’avais à un certain moment prévu de continuer en Afrique et de remonter la côte ouest. Mais comme ce fut une histoire de je t’aime moi non plus, j’ai finalement décidé qu’il était l’heure pour moi de prendre une pause avec le continent et de filer ailleurs.

Je veux toujours rouler sur l’ouest du continent, mais différemment. Avec un vélo et un chargement différent. Avec une bande de copains pour pouvoir mieux gérer les coups durs et les baisses de moral.


Ce ne fut pas aussi intéressant que je pensais. Je ne me suis pas trop aventuré en dehors des sentiers battus par confort. Cependant, je ne suis pas le plus positif du monde quand à ce à quoi ça va ressembler dans dix ou vingt ans.

Je me suis ennuyé, et c’était plutôt inattendu. En revanche, tout ce vide que j’ai parfois traversé, j’ai pu le mettre à profit pour moi même.

Je suis arrivé avec une parure particulière, des rêves et des aspirations, des peurs et des désirs.

Je me suis épuisé, émerveillé. Puis j’ai mué à l’heure de reprendre l’avion. J’ai quitté une enveloppe et l’ai laissé là bas, sans remords. Je me suis senti libre dans l’avion, léger, prêt à continuer.


C’est parfois un concentré de carte postale. Les troupeaux de zèbres qui traversent la route, la chance de voir une hyène au bord de la route en plein jour, des nuits étoilés à mourir sous le poids de la beauté froide. Des membres de tribus qui sortent de nul part et qui apportent de la couleur à la route. On se retrouve face à face, deux mondes assis sur le même et pourtant.

C’est les sourire, la vaste savane, les oiseaux, les crocodiles. La musique forte et omniprésente, la sensation que les soucis sont de l’ordre du lendemain, la perte de notion du temps, les coucher de soleil. Les enfants qui viennent nous encourager.


La beauté des Hommes au Soudan, les cailloux à éviter en Éthiopie et la rage à contenir. Les girafes au bord de la route au Kenya, les escortes policières en Égypte.

C’est indéfinissable. C’est tout ça. C’est ni bien ni mal. Ni mieux ni moins bien. C’est pas un voyage non plus. C’est une vie dans une vie. C’est s’offrir les sept vie proverbiale du chat et en utiliser une sur ce seul continent.


J’ai finalement longuement hésité à poster ça. J’ai relu certaines choses venant d’autres cyclistes. Je me trouve le plus négatif. Mais on ne peut pas en échange me reprocher de ne pas être honnête. Tout ceci n’est pas une vérité générale, c’est mon ressenti.

Nous sommes tous différents et nous percevons tous de manière différente le monde qui nous entoure. Avec mes yeux, mon cœur, mes jambes et ma tête, c’est ce que je rapporte du continent Africain que j’ai vu.

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